Pacte Ribbentrop - Molotov
Négociations France - Grande-Bretagne - URSS en été 1939 :
le sort promis aux Etats baltes.
Le pacte de l'URSS avec l'Allemagne fut précédé de
négociations avec la France et la Grande-Bretagne : le sort promis
aux Etats baltes semble avoir été similaire dans les 2 cas.
Sabine Dullin (« Des hommes d'influences, les ambassadeurs de Staline en Europe 1930-1939 »,
Payot, Paris 2001, p.383) cite p309 Litvinov qui, le 15 avril 1939, « …considère
comme un minimum les demandes ci-dessous :
1° Obligation mutuelle d'assistance entre l'Angleterre, la France et l'Union soviétique
en cas d'agression contre un de ces Etats comme résultat de l'aide apportée par
cet Etat à un voisin européen de l'URSS (ce point se distingue de la proposition
anglaise en modifiant une déclaration unilatérale en pacte bilatéral, de la
française en incluant les pays baltes et la Finlande au nombre des victimes possibles de
l'agression).
2° L'Angleterre, la France et l'URSS s'engagent les uns envers les autres à apporter leur aide
aux voisins européens de l'URSS :
3° Les représentants des trois Etats entrent sans tarder en discussion pour établir
les mesures et les formes de cette aide.
4° L'URSS, l'Angleterre et la France s'engagent à ne pas prendre de décisions et à
ne pas conclure d'accords avec d'autres Etats sur les questions concernant l'Est de l'Europe,
sans accord général des trois Etats. Ils s'engagent également à ne
pas conclure de paix avec les agresseurs indépendamment les uns des autres. »
Le 21 mars 1951,
l'ancien ministre des Affaires étrangères de France (mai 1938-juin 1939),
M. Georges Bonnet relate devant la Commission d'enquête parlementaire
p.2626
“…au mois d'avril 1939, dès les premiers pourparlers
pour une confirmation, par un accord militaire, de l'accord
franco-soviétique, c'est M.Litvinov lui-même qui marqua fortement
la volonté soviétique d'absorber, en fait, les Pays baltes.“
(Soviet Proposals )
et p.2671 “…Première difficulté: les pays baltes. Au fond
l'Union soviétique veut que les pays baltes soient compris dans l'accord, et
dès mars 1939, Litvinov envoyait des communications, notamment à
l'Estonie, auxquelles celle-ci a refusé de se soumettre. Dans l'esprit des
Russes, les pays baltes doivent être compris dans l'accord, même s'ils
refusent. Au fond dès 1939, Moscou veut appliquer la politique qu'il appliquera
à partir de 1945: la suppression de ces Etats.
Dès le 29 avril, nous adopterons une formule qui donne certaines satisfactions
à Moscou: l'Angleterre s'y rallie le 29 juin et Molotov donne son accord le 2
juillet.
L'affaire est ainsi conclue: l'Estonie, La Lettonie, la Lithuanie figureront dans l'accord.
Ces trois Etats conserveront intégralement leur indépendance, mais il est
prévus qu'ils seront protégés contre toute agression et que sans
être consultés, ils seront visés dans une liste séparée
et secrète, dont M.Molotov accepte le principe.
C'est là dessus que s'est fait la transaction: les Russes demandent que, publiquement
et sans les consulter, on mette ces trois pays dans l'accord; nous acceptons après de
longues discussions et nous finissons par obtenir l'assentiment britannique qu'ils figurent
dans une note secrète qui ne leur sera pas communiquée mais, bien entendu, en
conservant leur indépendance.
On dit parfois: “Cela a duré bien longtemps. Vous n'aviez qu'à jeter par dessus
le bord ces trois petits pays!” Mais, Messieurs, il ne faut pas oublier que nous négociions
justement pour ces petits peuples. Et d'autre part, dans cette affaire, il ne faut pas oublier
que l'Angleterre ne voulait pas et que, sur ce point, elle était formelle…”
p.2672 “… une troisième question, qui donna lieu à beaucoup de
difficultés: l'agression indirecte.”
“L'Union soviétique demandait que l'on défende ces pays non seulement
contre l'agression directe, mais même contre une agression qui se présentait
sous la forme où s'était présenté le coup de Prague en mars
précédent. Nous avions accepté de l'inscrire dans l'accord; elle
trouvait cela insuffisant et, finalement, Molotov proposa une définition
extrêmement large: chacun des états pouvait intervenir “dans le cas - voici
la formule - d'un coup d'état intérieur ou d'un changement politique
favorable à l'agresseur”.
“Le Gouvernement britannique attira aussitôt notre attention sur la gravité
d'une pareille rédaction. Il suffisait donc qu'un des pays garanti modifiât
la composition de son ministère pour nous autoriser à intervenir et à
déclencher une guerre générale européenne.”
“Le Foreign Office précisa qu'un texte semblable justifierait les plus graves suspicions des
états baltes, dont l'objection au traité reposait principalement sur la crainte qu'ils
avaient de l'ingérence russe dans leurs affaires intérieures
Le général de Villelume précise p.2748 “…Le mot “agression
indirecte” de l'alinéa 2 de l'article premier doit être entendu comme couvrant
une action acceptée par l'Etat en question sous la menace de la force par une autre puissance
et l'abandon de son indépendance et de sa neutralité.
Mais les Russes refusèrent jusqu'au bout la suppression des mots “sous
la menace de la force”, ce qui les autoriserait à intervenir dans la
politique intérieure et extérieures des Etats en question… ”
Source: Audition de M. Georges Bonnet, ancien ministre des
Affaires étrangères (mai 1938-juin 1939) p.2599-2740, Audition du
général de Villelume, ancien conseiller militaire du Ministère
des Affaires étrangères p.2741-2800, Commission d'enquête
parlementaire "Les événements survenus en France de 1933 à
1945, Témoignages et documents recueillis par la commission d'enquête
parlementaire" Tome IX, Presses universitaires de France, Paris 1951
L'ancien ministre des Affaires étrangères (mai 1938-juin 1939),
M. Georges Bonnet donne plus de détails dans ses mémoires:
p.348. 12 juin 1939
“Le gouvernement britannique considère qu'il n'est pas souhaitable de faire
figurer dans le texte du traité une énumération des pays à
la défense desquels les trois puissances collaboreraient. Les trois
Etats baltes s'opposent vivement à être l'objet d'une garantie ou
même au fait d'être simplement mentionnés dans l'accord.
Le ministre des Affaires étrangères d'Esthonie, dans une
récente déclaration, a dit que si une grande puissance désirait
jouer le rôle de défenseur, en vue de soutenir ses propres
intérêts vitaux dans la Baltique, un semblable système serait
considéré comme une agression contre laquelle les Etats baltes sont
prêts à lutter avec toutes leurs forces. Les gouvernements letton et
finlandais partagent cette façon de voir.”
p.351. 23 juin 1939
“…Il faut donc tâcher d'établir un traité d'ensemble qui garantisse
les Etats tiers, ce qui nous oblige à donna satisfaction aux exigences
soviétiques concernant la Finlande, l'Esthonie et la Lettonie. Nous proposons
que ces Etats soient énumérés, sans qu'il y ait lieu de les consulter,
dans une annexe à l'accord qui serait tenue secrète…”
p.351
“… le 27 juin…l'Angleterre accepte de donna immédiatement son aide aux Etats
baltes s'ils sont l'objet d'une agression. Mais on ne peut “aider” un Etat à se
défendre que s'il se défend lui-même. La formule adoptée
à Londres semble subordonner la mise en jeu de l'assistance à une
résistance opposée par l'Etat tiers à l'agression. Or l'URSS, non
sans raison, désire que l'assistance joue de toute façon. Le point de vue
soviétique me parait juste…”
p.352-3.
“… On a souvent prétendu en effet que l'accord échoua à cause des
Etats baltes : affirmation entièrement erronée, puisque dès le 29
avril la France avait adopté une formule qui donnait satisfaction à l'URSS
pour l'Esthonie, la Lettonie et la Finlande et que l'Angleterre s'y ralliait le 29 juin…”
p.354-5.
“La définition de “l'agression indirecte” apparaît pour la première
fois dans le projet soviétique du 4 juillet. Certes l'invasion de la
Bohême-Moravie par Hitler le 15 mars 1939 nous a révélé que
l'agresseur peut obtenir par la menace le “consentement” d'un gouvernement fantôme.
Il importe de garantir les Etats contre des manœuvres aussi perfides. Nous sommes donc
tout à fait d'accord pour insérer dans notre futur pacte les mots “agression
directe ou indirecte”.
“Mais que faut-il entendre par “agression indirecte”? Le projet soviétique du 4
juillet propose cette définition: “C'est le cas d'un coup d'état
intérieur ou d'un changement politique favorable à l'agresseur”. Dans la
pratique chacun des trois pays signataires de l'accord serait donc appelé à
apprécier lui-même si cette formule s'appliquait ou non au cas envisagé.
“Le gouvernement britannique attire aussitôt notre attention sur la gravité
d'une pareille rédaction: il suffirait qu'un des pays garantis modifiât la
composition de son ministère pour nous autoriser à intervenir et à
déclencher une guerre générale européenne. Le Foreign Office
précise qu'un texte semblable “justifierait les plus graves suspicions des Etats
baltes, dont l'objection au traité repose principalement sur la crainte d'une
ingérence russe dans leurs affaires intérieures, et que cela serait de
nature à les jeter dans les bras de l'Allemagne.”
p.355.
Télégramme de Londres du 6 juillet 1939:
“Le mot agression doit être entendu comme couvrant une action acceptée par
un Etat sous la menace de l'emploi de la force par une autre puissance et entraînant
l'abandon de son indépendance ou de sa neutralité.”
p.358.
“13 juillet 1939… le gouvernement britannique rappelle tous ses efforts de conciliation:
“Nous arrivons au point où nous ne pouvons manifestement plus continuer la
méthode qui consiste à accepter chaque nouvelle demande mise en avant par le
gouvernement de l'URSS. Afin de satisfaire Molotov nous avons fait ls concessions suivantes:
“1° Nous avons accueilli la demande du gouvernement de l'URSS tendant à englober dans
le traité le cas des Etats baltes.
“2° Nous avons renoncé à demander que les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg
fussent compris parmi les pays que l'accord doit couvrir…
“3° Nous avons accepté de parer au cas d'agression indirecte.
“4° Nous avons, à notre corps défendant, accepté de définir ce cas.
“5° Nous sommes prêts à insérer cette définition dans l'accord
lui-même.
“6° Nous avons accepté, comme Molotov le proposait, que l'accord contînt une
clause interdisant aux signataires de conclure séparément une armistice ou la paix.
“En dépit de toutes ces concessions, le gouvernement de l'URSS n'est pas disposé
à s'entendre avec nous sur les deux points maintenant en discussion.
“Notre patience est à peu près épuisée, et le gouvernement
soviétique ne doit plus escompter désormais que nous serons prêts à
céder chaque fois qu'il formule une nouvelle demande… Le gouvernement de Sa Majesté
pourrait avoir à réexaminer sa position d'ensemble.”
p.359. 18 juillet 1939
Halifax “continue à repousser la formule russe de “l'agression indirecte”, parce
qu'elle permettrait au gouvernement soviétique d'intervenir dans la politique
intérieure des Etats voisins.”
p.362.
“… Le 24 juillet, Molotov réunit nos ambassadeurs; mais cette fois l'atmosphère
est tout à fait détendue. Nous sommes d'accord sur tous les articles; toutes
les difficultés ont pu être surmontées, puisque les Etats baltes sont
compris dans le protocole, que l'Angleterre donne sa garantie à l'URSS, que toute paix
ou armistice séparé est interdit à chacun d'entre nous, que la liaison
entre l'accord politique et la conclusion militaire est nettement établie. Les articles
essentiels sont très clairs: l'article premier prévoit en effet que les trois
gouvernements donneront immédiatement leur assistance militaire à tout pays qui
serait l'objet d'une agression, compris dans le protocole secret de l'accord, notamment la
Pologne et la Roumanie. “Le Royaume-Uni, la France et l'URSS s'engagent à se prêter
mutuellement et immédiatement toute assistance en leur pouvoir au cas où l'un de
ces pays viendrait à être engagés dans les hostilités avec une
puissance européenne à la suite d'une agression dirigée par cette puissance
contre n'importe lequel de ces trois Etats, ou d'une agression (directe ou indirecte)
dirigée par cette puissance contre un autre Etat européen dont la partie
contractante intéressée s'estimerait obligée de défendre
l'indépendance ou la neutralité contre une telle agression… Une telle assistance
sera donnée conformée aux principes de la SdN, mais sans qu'il soit
nécessaire de suivre la procédure ou d'attendre une action de la SdN.”
“Il est convenu… que l'article I du traité signé aujourd'hui s'appliquera,
en cas d'agression directe ou indirecte, aux Etats européens suivants: Estonie,
Finlande, Lettonie, Lithuanie, Pologne, Roumanie, Turquie, Grèce et Belgique…”
Sur la définition même de “l'agression indirecte”, il n'y a plus que des
“divergences de détail” sans importance et faciles à régler. Molotov
constate avec “satisfaction” ces résultats: l'accord politiques peut
désormais être considéré comme acquis. Il faut commencer
sur-le-champ les pourparler militaires.”
p.374-5.
“La défection de la Russie fut pour la France un tel désastre qu'on s'est
demandé si les négociateurs français et anglais n'auraient pas
dû donna satisfaction coûte que coûte aux aspirations soviétiques
visant à recouvrer les territoires perdus par l'URSS en 1920-1921.
“On oublie trop facilement aujourd'hui que nous étions alors réunis à
Moscou avec les Anglais pour sauver l'intégrité de la Pologne. C'eut
été une ironie cruelle de demander au gouvernement polonais de sacrifier
comme entrée de jeu le tiers de son territoire aux aspirations nationales de la
Russie.
“Or, à la même heure, Ribbentrop vint offrir ce que nous voulions
préserver. Et le tentateur put dire: “Si vous suivez les Franco-Anglais, vous
aurez la guerre avec l'Allemagne et vous y gagnerez peut-être une influence sur
les pays baltes. Si vous vous entendez avec nous, vous resterez en paix et vous deviendrez
maîtres sans pertes et sans risques non seulement de la Baltique, mais de la
Bessarabie et d'une partie de la Pologne.”
Source: Bonnet Georges, De Munich à la guerre, défense
de la paix, éd. Plon 1967, p.585
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